LA RECHERCHE DE CARNEVALE
Mohnder Ben Milad
Depuis 1964, cet artiste italien, Renato Carnevale, membre assidu du salon des abstraits, Réalités Nouvelles, s’adonne à des tâtonnements, quasiment scientifiques, sur les résultats sensibles d’un corps en mouvement soumis à des éclairages de couleurs variables, et dont la partie non éclairée projette son ombre sur un surface plane, carrée les plus souvent et soit de couleur blanche, soit métallique.
Ses œuvres de ce type se distinguent les unes des autres par les variations : de lumières, de corps en mouvement, et de fond-écran sur lesquels se projettent les ombres. Les corps en mouvement sont des formes sculptées abstraites d’inspiration ou d’ascendance constructiviste. Ils sont maintenus en position fixe dans le plan à deux dimensions décrit par leur hauteur et leur largeur au moyen d’axes perpendiculaires au fond-écran qui leur transmettent en traversant le dit écran un mouvement dans le sens de la profondeur ( la troisième dimension), à partir d’un dispositif quelconque qui fait moteur. C’est appareil plastique, dont la description est plus complexe que sa structure, est disposé dans une chambre noire dont l’espace, par référence à l’envoi de Renato Carnevale au dernier salon réalité nouvelle (18 octobre–3 novembre 1985 au Grand palais) fait 300/250/290 centimètres. En pénétrant dans la chambre noire, le spectateur déclenche par son poids le mécanisme du mouvement et l’éclairage. Les faisceaux de deux sources de lumière placées aux extrémités horizontales du plan de l’entrée de la chambre noire convergent lorsque les deux sources sont allumées.
L’auteur appelle ses œuvres «sculpture tempsespace » (traduction de l’Italien : scultura cronotopica).
De ses tâtonnements, Renato Carnevale espérait déboucher sur quelque découverte d’une conception ou nouvelle ou enrichies de la notion d’espace. Son choix de la lumière et du mouvement comme élément de base pour créer ses «spectacle lumino-cinétiques » part du principe que «il n’y a pas de mouvement sans espace, de même qu’il n’y a pas de lumière sans espace ».
Le temps et l’expérience de ces propres oeuvres en fixée son intérêt, aujourd’hui sur certains comportements de la lumière auxquels il ne s’attendait pas. Par exemple, dans certaines conditions, l’ombre de la lumière rouge (est-il tout à fait correct de s’exprimer ainsi?) est verte.
Dans d’autres conditions, autour du corps en mouvement, peint en vert et éclairé par une lumière blanche, il se forme sur le fond-écran de couleur blanche une sorte de halo rose d’origine, dirait-on «immatérielle». Fasciné par une anecdote qui raconte qu’«un savant qui a apprivoisé un hibou s’est trouvé obligé un jour pour se libérer de ses serres de lui couper d’un coup, la patte, il fut surpris alors de voir briller dans l’oeil gauche (ou droit?) de l’animal une lumière jaune intense qui l’entraîna à se demander s’il n’y a pas de corrélation entre les couleurs et les sensations, en l’occurrence entre le jaune et la douleur», Renato Carnevale se demande à son tour si ses créations expérimentales, avec leurs résultats imprévus, qui l’excitent et le poussent à continuer et multiplier les commutations et substitutions d’une lumière à une autre, à changer les formes et les mouvements des corps opaques qui projettent leur ombre, à intervertir les coueleurs de ces corps avec celles du fond-écran... ne sont pas les balbutiements d’une découverte scientifique. Qui sait? Hélas, nous ne sommes pas compétents pour nous exprimer clairement et utilement là-dessus. Mais l’art de Carnevale, nous pouvons l’affirmer, se trouve dans le prolongement des Bauhaus, institutions ayant propagé dans les mœurs artistiques le goût de l’utopie scientifique, institutions ayant effacé les nuances classiques entre art et technique, entre beaux-arts et arst appliqués, entre émotion morale et éthique et émotion sensorielle, institutions génératrices de l’op art (art optique) du minimal art (art minimal), de carrés, cercles , triangles, toiles monochromes unies... Les expériences «lumino-cinétiques» (il y a un autre Italien, Nano Calos, qui, installé à Paris et membre également du salon Réalités Nouvelles, crée des oeuvres combinant la lumière et le mouvement, mais qui ont un tout autre aspect que celles de Carnevale) sont probablement la meilleurs progénitures Des Bauhaus de Weimer, Dessaou et Cicago. Elles restent à notre avis, fidèles à l’ambition initiale de cette institution : unir peinture, sculpture et architecture, dans un Grand Oeuvre àù ne persisterait aucune distinction entre l’art monumental et l’art décoratif. Les oeuvres lumino-cinétiques, dans l’art actuel, semblent donc serrer de près cette ambition, de bien plus près que d’autres formes d’art actuel qui portent elles aussi des marques d’origine Bauhaus, mais où il n’est pas évident que la distinction entre la beauté superficielle et la beauté profonde ne persiste pas. La distinction entre ces deux beautés n’est peut-être pas, hélas, exactement celle que les Bauhaus ont voulu estomper, or elle restera, pour nous en tous les cas, le critère fondamental du rapport à l’art.
En vérité l’étonnement de Renato Carnevale devant les résultats sensibles et imprévus de ses formes abstraites mises en mouvement sous des éclairages colorés, et son espoir qu’un coup de dès parvienne soudain à sublimer le hasard, c’est une attitude humaine archaïque et profondément de la vie, l’attitude de l’homme qui vit pour la première fois le soleil se lever, l’horizon s’embraser, les feuilles vertes de son arbre virer au violet... L’art expérimental et celui de Carnevale en est, de provoquer cette attitude humaine et archaïque, ci-dessus évoquée. C’est une émotion esthétique profonde, de durée variable selon son sujet.
Passé le charme du déroulement du phénomène d’apparition de couleurs s’origine dirait-on «immaterielle», passé le charme des mélanges de lumières colorées, passé le charme, on constate que les lumières ne se mélangent pas comme les pigments : le mélange des lumières est additif, où le jaune et le bleu donnent un lumière blanche, tandis qu’un pigment bleu et in pigment jaune, en peinture donc, font un mélange soustractif et donnent une couleur verte.
Lorsque le fond-écran ou les corps en mouvement, ou les deux à la fois sont colorés, le mélange des couleurs des lumières utilisées par R. Carnevale est très probablement à la fois additif et soustractif, et de là proviennent sans doute les (déperditions?) de lumière, roses, dans un cas exposé au salon Réalités Nouvelles. L’ombre verte dans un autre cas, est probablement aussi un «reste» de lumière non absorbée dans un mélange à la fois soustractif et additif. Et nous répétons que nous ne sommes pas hélas compétents pour nous exprimer utilement là-dessus. Les éclairagistes de théâtre et d’opéra, ont une meilleurs expérience que nous des mélanges additifs des couelurs.
Nous sommes étonnés que l’art expérimental lumino-cinétique n’ait pas la place qu’il mérite dans les musées d’art moderne. Ses «produits» satisfont mieux que les œuvres statiques le récent nom de tendance : l’abstraction analytique.
Ces oeuvres abstraites de Carnevale analysent effectivement la lumière.